|
L’inconnu : Qu’en est-il maintenant de la poésie québécoise contemporaine?
Le poète : La poésie québécoise contemporaine a commencé à se manifester d'une manière décisive à partir des années soixante. Certes, quelques recueils importants avaient été publiés dans les années cinquante, notamment le Tombeau des rois d'Anne Hébert et les Armes blanches de Roland Giguère, mais l'activité poétique restait somme toute assez marginale et ne s'inscrivait pas encore vraiment dans une continuité et dans une durée. L'essor de la poésie au début des années soixante coïncide avec celui de la Révolution tranquille. Certains commentateurs ont pu dire que ce sont les poètes qui ont donné l'impulsion initiale au mouvement collectif: tout en étant plausible, cette thèse reste difficile à prouver dans les faits. Une chose est sûre cependant, c'est que l'enthousiasme général de l'époque a favorisé l'émergence d'un grand nombre d'oeuvres poétiques.
Quant aux jeunes, ils raffolent des sons nouveaux, innovateurs, qu'ils ne retrouvent pas suffisamment dans la musique francophone, si ce n'est dans le hip hop. En réalité, la poésie québécoise est une immense entreprise d'incarnation et de libération. Des origines du pays jusqu'à nos jours, écrivains et poètes ont mené une lutte éminemment libératrice et donné aux Québécoises et Québécois les moyens de mieux se connaître et se comprendre. Grosso modo, la poésie est un art mais c'est aussi le miroir d'une société.
L’inconnu : Vos propos sont très pertinents et j’ai maintenant connu la poésie à sa juste valeur!
Le poète : La poésie est cette branche de la littérature qui, comme une vigne en hiver, garde toute sa vitalité malgré une grande, trop grande peut-être, discrétion. Elle reste là, à portée de notre main, prête à nous faire don de sa puissance, de son murmure, de sa mémoire, de ses mots susceptibles de devenir nôtres pour peu que l'on soit ouvert et disponible à les accueillir! Après avoir rapidement tenté de cerner ce que nous entendons par «poésie», il faut également rappeler que celle-ci est nécessaire pour que l'éducation de tout être humain soit la plus complète et la plus harmonieuse possible. La poésie est avant tout un langage, un langage certainement très différent du langage quotidien. Elle est le langage des sens qui choisissent, au contraire des autres formes d'arts, de s'exprimer avec des mots. Car même si tout peut devenir objet de poésie, un coucher de soleil comme un tremblement de terre, un chagrin sans fin comme une explosion de rires, un canon destructeur comme une poignée de main, tant qu'il n'y a pas de mots, ce qui peut être «poétique» n'est pas «poésie». La poésie résulte donc de la manipulation particulière et différente de mots, de mots moins fréquents comme de mots très courants. Il n'y a pas de mots catalogués comme ayant une valeur poétique et d'autres n'étant bêtement destinés qu'à un usage uniquement prosaïque. Ce qui distingue la poésie, c'est «qu'elle exprime les concepts de manière oblique» (Jean, 1989). Les mots, par l'analogie, par les images qu'ils font naître, par la contradiction apparente qu'ils soulignent, par le choc qu'ils provoquent et par ce qu'ils sousentendent, entraînent l'esprit du lecteur ou de l'auditeur à créer des liens et à «lire» beaucoup plus que ce qui est réellement écrit. Les mots vivent alors et résonnent en lui de façon dynamique et personnelle. «Le langage poétique est toujours à réinventer, il n'existe pas, ne vit pas, s'il n'est pas réveillé, réanimé, par l'imagination du lecteur ou de l'auditeur» selon un poète notoire. Un autre poète affirme de son côté que : «La poésie de celui qui écrit est comme le négatif de l'opération poétique et le positif se trouve dans le lecteur. Ce n'est que quand l'oeuvre a pris toutes ses valeurs dans la sensibilité du lecteur, qu'elle peut être considérée comme réalisée, telle l'image photographique fixée sur l'épreuve»
En ce sens, la poésie est une des formes d'arts les plus favorables pour stimuler l'imagination, à la fois parce qu'elle aborde autant des contenus réels qu'imaginaires, mais surtout parce que sa constitution même invite à une lecture à plusieurs niveaux. Cette importante part de création qui appartient au lecteur de poésie contribue bien évidemment à la diversité des interprétations, et la résonance que les métaphores trouveront en lui favorisera justement cette lecture à plusieurs niveaux. Si l'on ajoute à cela les structures syntaxiques, qui répondent à d'autres règles que celles qui régissent la prose, et l'emploi inusité des mots eux-mêmes, qui par leurs associations nous propulsent vers une polysémie des plus parlantes, nous arrivons à une autre caractéristique de la poésie que Michel Tournier qualifiait d'épaisseur glauque, une sorte d'univers aux sens multiples, le terrain par excellence de la pensée divergente. La liberté qu'elle offre en faisant sauter les règles habituelles du langage courant, comme d'ailleurs les contraintes qu'elle s'impose, sont autant de pistes d'envol pour l'imagination et pour d'innombrables rêveries.
|
Tags
You must be logged in to add tags.
Writer Profile
ilyes
I am a student in Canada. I began writing poetry, novels and short stories since my early chlidhood. Today, I am passionnate about poetry and literature in particular and art and culture in general.
Ilyes El Ouarzadi
http://committedman.tigblog.org/
|
Comments
You must be a TakingITGlobal member to post a comment. Sign up for free or login.
|
|