by Eric DOMBOU
Published on: Oct 21, 2006
Topic:
Type: Opinions

Le Brésil a, le 1er septembre, formellement demandé l'établissement d'un groupe spécial de l'OMC chargé d'examiner si les États-Unis avaient respecté une série de décisions dénonçant leurs programmes de subventions au coton. Les États-Unis ont bloqué l'établissement d'un groupe spécial lors de la réunion de l'Organe de Règlement des Différends (ORD). Les règles de l'OMC leur interdisent toutefois de le faire de nouveau, si le Brésil réitérait sa demande.

C'est ainsi que lors de sa seconde introduction, l'ORD a décidé de la mise en place d'un Groupe Spécial de mise en conformité en date du 28 septembre. Un certain nombre de pays ont décidé de se constituer tierces parties. Ce sont l'Argentine, l'Australie, la Chine, l'Inde, le Japon, la Nouvelle Zélande, et les Communautés européennes. Les pays africains, pour leur part, continuent de mener des consultations pour se déterminer sur la question de savoir si une " plainte autonome " sur la même question serait pertinente.

Pour rappel, en mars 2005, l'ORD avait confirmé que certains des programmes de subventions au coton et de crédit à l'exportation mis en œuvre par les États-Unis contrevenaient aux engagements contractés à l'OMC par ce pays et faussaient suffisamment les prix mondiaux du coton pour causer un 'préjudice grave' aux intérêts commerciaux du Brésil. L'ORD avait fixé deux dates limites -1er juillet et 21 septembre 2005 - pour que Washington corrige les diverses mesures mises en cause.

Peu après l'expiration de ces deux délais, le Brésil a formellement demandé aux Membres de l'OMC l'autorisation d'imposer des droits tarifaires à titre de rétorsion contre les exportations américaines, d'un montant de 3 milliards de dollars US pour un ensemble de subventions et d'un milliard de dollars US pour l'autre. Les États-Unis et le Brésil sont toutefois arrivés à des accords de procédure pour suspendre les deux demandes de mesures de rétorsion, Washington ayant promis de procéder à la mise en œuvre des réformes requises.

Les États-Unis affirment à présent avec insistance qu'ils se sont conformés aux décisions de l'ORD, ce que le Brésil réfute. Dans sa demande d'établissement d'un groupe spécial, en date du 21 août (WT/DS267/30), le Brésil a invoqué les dispositions de l'OMC relatives au règlement des différends qui traitent d'un désaccord sur la mise en conformité et a demandé que les deux ensembles de subventions soient soit renvoyés au groupe spécial initial, soit portés devant un nouveau groupe spécial.

Lors de la première réunion du 1er septembre, la délégation brésilienne a déclaré que " concernant certaines des recommandations et des décisions de l'ORD, les États-Unis n'ont adopté aucune mesure de mise en œuvre et que les mesures de mise en œuvre qu'ils ont adoptées étaient très loin de la mise en conformité escomptée".

Les États-Unis ont qualifié " d'inutile et sans fondement " la demande d'établissement d'un groupe spécial présentée par le Brésil, en insistant qu'ils avaient " pleinement mis en œuvre " les décisions de l'ORD. Ils ont pointé l'annulation de centaines de millions de dollars de versements au titre du programme de subventions 'Step 2', qui avaient été jugés prohibés. Il avait été constaté que ces subventions, accordées à des fabriques et à des exportateurs américains pour l'achat de coton produit localement et plus cher, faisaient chuter les prix mondiaux, au détriment du Brésil.

Dans leur déclaration, les États-Unis ont ajouté qu'ils avaient restreint leurs régimes de garantie des crédits à l'exportation, en faisant en sorte que ceux qui n'avaient pas été éliminés reflètent davantage leurs frais et de leurs pertes d'exploitation à long terme - afin de réduire ainsi leurs effets équivalent de subventions illicites.

La demande d'établissement de groupe spécial de mise en conformité présentée par le Brésil qualifiait l'élimination du programme Step 2 de " seule mesure prise par les États-Unis pour se mettre en conformité ", et notait qu'elle n'entrait en vigueur que le 1er août 2006, plus de 10 mois après la date limite de septembre 2005. Le Brésil a qualifié les réformes apportées au système de garantie des crédits à l'exportation d'inadéquates, en ajoutant que les États-Unis n'avaient suffisamment modifié leurs programmes de prêts à la commercialisation et de versements contracycliques pour empêcher qu'ils ne causent des préjudices graves aux producteurs brésiliens. Les paiements contracycliques, qui augmentent en cas de baisse des prix sur les marchés mondiaux 'peuvent donner lieu à des actions' - c'est-à-dire qu'ils peuvent être contestés à l'OMC. Dans les négociations sur l'agriculture du Cycle de Doha, à présent suspendues, les États-Unis avaient espéré classer ces versements dans une 'catégorie bleue' qui fait l'objet de réductions relativement plus faibles que celles auxquelles sont soumises les subventions ayant le plus d'effets de distorsion des échanges.

L'organisation caritative Oxfam International déclare que les réformes américaines n'ont affecté qu'une faible portion des subventions au coton américaines et cible particulièrement les paiements contracycliques, restés intacts, dans ses critiques. Soutenant que les subventions américaines au coton s'élevaient, en 2005, à 5 milliards de dollars US, pour une récolte d'une valeur inférieure à 4 milliards de dollars, Oxfam a appelé le Congrès à procéder aux réformes nécessaires pour une mise en conformité avec les règles commerciales internationales. Selon Oxfam, les pays en développement pourraient obtenir gain de cause, dans des différends à l'OMC contre de nombre des programmes américains de subventions aux produits agricoles.

" Je ne pense pas que les négociations sur le coton à l'OMC aient jamais été une alternative sérieuse au règlement des différends ", a déclaré Brendan McGivern, un spécialiste du droit commercial international à White & Case, à Genève. " Les échecs répétés des négociations sur le coton à l'OMC ont laissé peu d'illusions sur la possibilité de réaliser des progrès significatifs sur cette question à la table de négociation. Le règlement des différends a été, et reste, le seul moyen réaliste de contester les subventions américaines. "
Gawain Kripke, conseiller principal pour la campagne d'Oxfam Pour un commerce équitable a fait une évaluation similaire. " Les pays pauvres ne devraient pas avoir à chercher à réaliser le développement par l'intermédiaire des litiges, mais avec l'échec du Cycle de Doha et la réticence des États-Unis à prendre au sérieux leurs obligations internationales, les litiges restent une des rares options disponibles. "

Dans l'incapacité de sortir le Cycle de Doha de l'impasse, le Groupe de Cairns appelle à la reprise des négociations. Lors d'un récent sommet tenu en Australie, les ministres et les hauts responsables du Groupe de Cairns d'exportateurs de produits agricoles ont appelé les Membres de l'OMC à faire redémarrer les discussions commerciales en suspens du Cycle de Doha, au plus tard en novembre. Ils n'ont toutefois pas été en mesure d'arriver à de nouveaux compromis pour sortir de l'impasse, en dépit de la présence de représentants de haut rang des États-Unis, de l'UE et du Japon. Durant de la réunion, tenue du 20 au 22 septembre, le groupe de 18 membres a dévoilé un programme de travaux analytiques et de lobbying visant à remettre les discussions sur les rails.

Le compromis " cinq pour cinq " pas acceptable pour les États-Unis et pour l'UE

Bruxelles a reproché à Washington de proposer des abaissements insuffisants de ses subventions agricoles. Les États-Unis ripostent que cela n'aurait pas été le cas si l'UE avait consenti des réductions plus fortes de ses droits tarifaires agricoles. Lors de la réunion du Groupe de Cairns, ni l'UE ni Washington n'ont accepté un compromis " cinq et cinq " élaboré par l'Australie. Aux termes de ce compromis, l'UE aurait à réduire ses droits tarifaires agricoles de 5% de plus que la réduction d'environ 50% qu'elle avait proposée de manière informelle, alors que les États-Unis auraient rehaussé le plafond de leurs subventions agricoles de 5 milliards de dollars US par rapport à leur offre actuelle, qui est d'environ 22,7 milliards de dollars US.

Plusieurs Membres de l'OMC, notamment le Brésil et l'Inde, ont pointé du doigt les États-Unis en raison de leur incapacité à offrir de nouvelles réductions des subventions en juillet. La Représentante au commerce extérieur, Susan Schwab, a néanmoins insisté, à Cairns, que la proposition de Washington était " négociable " et que les États-Unis étaient " prêts à faire davantage, en termes de réduction du soutien interne, que ce que nous avons sur la table, s'il y a, et quand il aura, bien davantage en matière d'accès aux marchés sur la table, dans l'agriculture. "

Dans un communiqué diffusé à la fin du sommet, les ministres du Groupe de Cairns ont averti que " l'on ne peut laisser le Cycle aller à la dérive. Un report supplémentaire accentue le risque de perdre les gains acquis à ce jour dans les négociations, et le maintien de la dynamique en vue des réformes commerciales. " Ils ont instamment invité les Membres de l'OMC à " prendre les mesures nécessaires pour la relance des négociations au plus tard en novembre. " Le Directeur général de l'OMC, Pascal Lamy a fait des remarques similaires dans son discours lors de la réunion en mettant l'accent sur le fait qu'une volonté politique suffisante pourrait combler divergences dans la négociation. Toutefois, il faudrait pour cela que les gouvernements affrontent l'opposition interne.

Les ministres ont imputé l'absence d'accord sur les 'modalités' pour l'agriculture - les formules et les chiffres des abaissements des droits tarifaires et des subventions, ainsi que les exceptions à ces abaissements - à des divergences substantielles tant sur le soutien interne que sur l'accès aux marchés. Ils ont appelé à des " réformes de politique profondes " dans les deux domaines, " la pure vérité en matière de négociation devrait également être claire : des réformes modestes dans ces domaines seront simplement insuffisantes pour conclure un accord dans l'agriculture ou pour libérer les avantages de l'agenda plus large de Doha. "

Ils ont instamment invité l'UE et les États-Unis et en particulier le G-10, à procéder "aux améliorations nécessaires de leurs offres en matière d'accès aux marchés et de soutien interne, pour ouvrir la voie à une reprise rapide des négociations. "

Le Groupe de Cairns a également adopté un programme de travail donnant pour instructions à ses négociateurs commerciaux d'œuvrer avec d'autres membres de l'OMC à faire pression pour obtenir des hausses substantielles de l'accès aux marchés et de participer aux travaux techniques sur le soutien interne et sur la concurrence à l'exportation, afin d'ouvrir la voie à la reprise des négociations.

Le programme de travail impliquera également des travaux analytiques et un travail de plaidoyer pour influer sur les réformes des politiques agricoles aux États-Unis, dans l'UE et dans d'autres grands pays qui octroient des subventions.

Le Groupe de Cairns à la recherche d'un compromis sur les produits spéciaux

Les ministres ont également abordé la question des flexibilités en matière d'accès aux marchés pour les pays en développement.
Les Membres du Groupe de Cairns sont dans des camps différents dans ce débat des plus litigieux dans les négociations du Cycle de Doha. L'Indonésie et les Philippines, par exemple, font partie du groupe G-33 de pays en développement, qui souhaite être en mesure de protéger 20% des produits agricoles du gros des abaissements tarifaires en les désignant comme 'spéciaux' pour des raisons de sécurité alimentaire, de garantie des moyens d'existence et développement rural. D'autres pays en développement tels que la Malaisie et la Thaïlande souhaitent toutefois que la capacité des Membres à désigner de tels produits soit plus limitée, dans la crainte d'une réduction des perspectives d'exportation. Tous ces 4 pays font partie du bloc central du G-20.

Le programme de travail adopté à Cairns donne pour instruction aux responsables du commerce de " contribuer à créer une convergence " sur la question des produits spéciaux, ainsi que sur le 'mécanisme de sauvegarde spéciale' auquel les pays en développement seront en mesure de recourir pour protéger les agriculteurs contre les brusques poussées des importations. Il leur a également été demandé d'examiner la question des voies et moyens de libéraliser le commerce des produits tropicaux, une question qui divise les pays en développement bénéficiaires de préférences commerciales pour de tels produits et ceux qui n'en bénéficient pas.

Les demandes du G-33 sont encore moins acceptables pour Washington (qui ne fait pas partie du Groupe de Cairns). Selon les responsables américains, elles constituent une 'catégorie noire' et ne permettent pas de déterminer la valeur réelle des offres d'accès aux marchés ; ils ont critiqué les propositions du groupe en partie parce qu'elles n'ont pas offert des abaissements plus forts des subventions, en juillet.

Les promesses de flexibilité - si d'autres pays agissent d'abord - ne sont rien de nouveau dans les négociations du Cycle de Doha. Bruno Julien, Ambassadeur européen en Australie, a néanmoins déclaré au journal australien the Weekend, au cours du sommet, à Cairns, que les États-Unis semblaient avoir fait une " offre supplémentaire " sur les subventions agricoles, bien que sans détails précis.

Le communiqué des ministres du Groupe de Cairns est disponible à :
http://www.cairnsgroup.org/meetings/20anniversary_communique.html






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