by Andy Roland Nziengui Nziengui | |
Published on: Feb 18, 2006 | |
Topic: | |
Type: Interviews | |
https://www.tigweb.org/express/panorama/article.html?ContentID=7001 | |
Alice agite la souris et, d'un clic, fait apparaître sur l'écran l'image de son camarade de classe, Guy. La conversation s'enclenche entre les deux étudiants séparés de plusieurs milliers de kilomètres mais reliés par l'Internet. Elle est au Gabon, lui au Mali. Cette fonctionnaire de 33 ans est inscrite depuis octobre dernier en licence des sciences de l'éducation et promotion de la santé dans une université de Franche-Comté. En France, pense-t-elle, mais elle ignore la localisation précise de l'établissement. Peu importe puisque de nombreux professeurs, tout comme les étudiants, sont éparpillés à travers l'Afrique etl'Europe. Son professeur d'informatique, dont elle est en train de télécharger le cours, est au Niger. «J'ai essayé de m'inscrire dans une université pour poursuivre mes études en France et obtenir un meilleur emploi ici, mais je n'ai pas pu partir», raconte cette femme célibataire, mère d'un enfant. Entre les démarches pour l'obtention d'un visa, d'une bourse, d'un logement dans le pays d'accueil et les questions financières, aller étudier dans une université du Nord s'apparente à un parcours du combattant pour de nombreux étudiants africains. «C'est un ami qui m'a parlé des formations à distance organisées au campus numérique francophone de Libreville, poursuit l'étudiante gabonaise, aujourd'hui je bénéficie d'une allocation et ne paie que 200 euros pour l'année.» Sans devoir se déplacer ni s'éloigner de sa famille, elle obtiendra àl'issue de ses études (un ou deux ans) un diplôme en tout point conforme à ceux décernés dans l'Hexagone. «Il y a fracture et facture numériques» Droit, médecine, nouvelles technologies Comme Alice, un millier d'étudiants d'universités du Sud suivent actuellement des formations ouvertes à distance (FOAD), dont une vingtaine au Gabon. L'Agence universitaire de la francophonie (l'AUF, l'un des opérateurs directs de l'Organisation internationale de la francophonie) offre des allocations à 800 d'entre eux. Des chiffres qui sont amenés à croître puisque l'offre de diplômes est passée de 4 en 2000 à 36 en 2004 ; 45 formations à distance seront au programme l'an prochain. Des diplômes souvent liés aux nouvelles technologies mais aussi des masters en droit et en médecine. Alice continue de manipuler inlassablement la souris. Sur le forum, elle consulte les questions précises laissées par les étudiants. D'Egypte, de Tunisie, du Venezuela, du Congo, du Sénégal, de France ou de Belgique. Le tchat lui permet d'être en relation directe avec des professeurs ou ses jeunes collègues. Car les formations à distance reposent sur ces échanges entre les apprenants. «C'est tout nouveau pour moi : on s'entraide, on s'explique, on se corrige, on travaille souvent en groupe», indique Alice. Mais le professeur n'est jamais loin. «On est suivi de très près», ajoute-t-elle en ouvrant sur l'écran une nouvelle fenêtre où s'alignent les commentaires des professeurs sur le forum. «Même en dehors des interrogations en ligne, ils lisent toutes nos interventions et apportent des corrections ou des appréciations.» Alice n'avait jamais touché à un ordinateur de sa vie avant de commencer sa formation. Mais le campus numérique offre une passerelle vers ce monde virtuel qui lui paraissait inaccessible, en dispensant une formation de base aux nouveaux arrivants. Une association d'une quinzaine d'étudiants initiés à l'informatique, les Jeunes Volontaires francophones, sert de relais pour faire augmenter la masse critique d'internautes. «Nous accueillons les étudiants, les initions à l'informatique et à l'Internet, leur ouvrons des adresses e-mail», explique le président de l'association, Andy Rolland Nziengui-Nziengui, qui gère les cyberespaces avec ses 14 collègues. Le campus numérique a également beaucoup à leur offrir ; ils ont appris à créer des sites web et à publier des revues en ligne. «La parole n'est pas souvent donnée aux jeunes en Afrique. Grâce au Net et au campus numérique, nous la prenons», renchérit Andy. Trois nouveaux cyberespaces et bientôt 250 ordinateurs Sur les 8 000 étudiants de l'université Omar-Bongo de Libreville (UOB), 1 300 figurent sur la liste des abonnés payants du campus numérique. Entre 200 et 300 visiteurs chaque jour. Que de chemin parcouru pour cette structure dont l'origine remonte à 1993. A cette époque, une petite salle sombre de la bibliothèque de l'université hébergeait quelques postes Minitel, permettant des commandes d'articles sur des banques de données en France. En 2000, la structure, financée par l'AUF, déménage, se dote de 27 ordinateurs et prend le nom de «campus numérique francophone». «Mais nous existions sans exister dans les locaux de l'Ecole normale supérieure de Libreville, nous avions très peu de visibilité», raconte Ambroisine Boubengua, comptable et gestionnaire, l'une des quatre employés permanents du campus. Ce n'est qu'en mars 2003, après l'insistance du recteur de l'UOB, Jean-Emile Mbot, que le campus s'installe au coeur de l'université. Face à la contestation étudiante, aux grèves et aux mouvements violents à répétition dénonçant de mauvaises conditions de travail, le recteur voit dans le campus numérique une façon de satisfaire certaines revendications. Il fait câbler entièrement les bâtiments de son université et les relie en fibre optique. Gérant aujourd'hui 200 appareils, bientôt 250, le campus numérique s'est intégré au reste de l'institution où trois nouveaux cyberespaces avec une très bonne ligne : 2 mégabits symétriques par seconde ont été ouverts dans des bâtiments distincts. Aujourd'hui, on sent que l'outil sert, se réjouit Ambroisine, les étudiants ont acquis plus d'esprit critique, sont plus curieux, s'intéressent à l'actualité.» La curiosité de certains jeunes leur a même permis de découvrir sur le Net qu'un professeur utilisait mot pour mot le cours d'un de ses collègues français, datant des années 60... Et le campus n'échappe pas à la querelle des anciens et des modernes. Un fossé s'est creusé entre les générations. Les rares professeurs qui utilisent le campus numérique ont exigé une salle séparée pour consulter l'Internet. Certains confessent leur honte de ne pas maîtriser l'outil informatique. D'autres refusent encore cette démocratisation de l'accès à l'information. «C'est une situation normale dans un pays accusant un tel retard dans les nouvelles technologies», tempère le sociologue gabonais Anaclet Bissiélo. «C'est une déformation professionnelle chez les informaticiens : ils s'attendent à ce que l'on saute le pas aussi vite qu'eux, poursuit-il. Le campus est une avancée, mais il faudra un temps d'adaptation pour qu'il cesse d'être un îlot isolé de technologie : il faut qu'il s'inscrive dans une dynamique globale de la société.» Une petite institution dans l'institution Jules Djéki, professeur de géographie, fait partie de la nouvelle génération. Il profite des installations offertes par le campus numérique pour enseigner. «L'ordinateur et l'Internet sont des appuis indispensables pour mon cours de cartographie, raconte-t-il. J'importe des cartes de l'Internet, je renvoie les étudiants à certains sites, je leur apprends à dessiner des cartes sur l'ordinateur.» Or trois quarts de ses étudiants ne connaissaient rien à l'outil informatique. Les premières semaines de cours ont donc été consacrées à la découverte de l'ordinateur. Un investissement qui porte ses fruits puisque le professeur note «une grande amélioration dans la qualité des travaux remis par les étudiants initiés aux nouvelles technologies». Logé au coeur de l'université dans un bâtiment de 300 m2 entièrement remis à neuf, le campus numérique est une petite institution dans l'institution donnant accès à l'Internet haut débit, à des formations aux nouvelles technologies, à des diplômes à distance, mais aussi à la consultation de banques de données dans tous les domaines scientifiques (un million de références disponibles).Pour 7 euros par mois, les étudiants sont abonnés à l'Internet. Pour la même somme environ, les chercheurs peuvent obtenir un article. «Certains trouvent que c'est trop cher, ils voudraient avoir tout cadeau, regrette Eric Ivahat, documentaliste du campus. Mais l'objectif est de montrer que tout a un coût et que nous sommes tous esponsables de ce lieu.» Les tarifs sont fixés par l'AUF en fonction du PNB ; le Gabon est l'un des plus riches du continent. En fin d'après-midi, dans la salle des formations à distance, Alice est toujours au poste. Sept à huit heures de travail par jour. Elle prépare un chat avec le professeur et un groupe d'étudiants, prévu ce soir à 20 h 15. Or les cyberespaces ferment à 20 heures, il lui faudra donc se replier sur un cybercafé de la ville, où la connexion est souvent très lente et l'atmosphère moins propice au travail .Une réappropriation des nouvelles technologies par le Sud s'impose. L'AUF veut passer le relais à des universitaires locaux. D'anciens étudiants du campus numérique forment aujourd'hui à leur tour les futurs enseignants aux nouvelles technologies. D'autres campus numériques pourraient ainsi voir le jour à travers le pays. Entièrement gérés cette fois par des Gabonais. « return. |