by Yambwa, Nziya Jean-Pierre | |
Published on: Aug 19, 2005 | |
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Type: Opinions | |
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(Conférence donnée a la Fédération des Parents Chrétiens du Congo, Juin 2002) INTRODUCTION. Avant les années 80, les pays africains affichaient de manière arrogante qu’ils ne connaissaient pas le phénomène des enfants de la rue. D’après la rhétorique d’alors, les Africains avaient une conception de la famille tellement élevée qu’un enfant ne pouvait être abandonné de ses parents. Et quand bien même cela arrivait, cet enfant serait aussitôt récupéré par les autres membres de la famille. En effet, dans la tradition africaine, l’enfant constituait tout l'investit humain et total des parents. L’on mettait au monde pour continuer le clan, pour se montrer digne de ses parents et pour ne pas éteindre le nom de la famille. La famille était le lieu d’expression des sentiments de solidarité clanique. Elle aidait ou était un cadre d’expression de prérogatives, un soutien et un milieu de croissance. C’est cette famille que les pays africains croyaient encore servir jusque dans les années 80. La vérité c’est que la famille telle qu’entendue ci-haut était une réalité vécue dans l’Afrique des villages. L'Afrique d'aujourd'hui avec ces villes avaient amené ses impératifs et avait déstructuré la réalité sociale. Cette déstructuration a, entre autres, engendré des enfants de la rue, des enfants dont la paternité est attribuée à la rue! 1.DISTINCTIONS TERMINOLOGIQUES. L’on distingue les enfants de la rue des enfants dans la rue. Les enfants de la rue ou shégué(Congo), Chokora (Kenya) sont des enfants qui passent leurs journées dans la rue et dorment dans la rue. Ils passent leur vie dans la rue et n’ont de compte à rendre à personne. En tout cas, à aucun parent, à aucune autorité familiale. Toute leur vie s’organise et se déroule dans la rue. Ils vivent et survivent dans la rue. Les enfants dans la rue sont un groupe d’enfants qui se réclament des parents connus. Ils passent leurs journées dans les rues, mendient ou volent ou rendent de petits travaux lucratifs. Au soir de la journée et de leurs activités, ils rentrent sous le toit paternel ou familial ramenant le butin. Ces enfants, selon certaines circonstances, peuvent se retrouver complètement dans la rue et devenir shégués, chokora. 2.ORGANISATIONS EN BANDES. Les enfants de la rue s’organisent en bandes. La survie dans la rue exige une organisation judicieuse pour se protéger contre les intempéries, les tracasseries de tout genre. L’organisation permet aussi une prise en charge collective et une prise en charge de chacun par la bande. L’on distingue les bandes égalitaires de bandes hiérarchisées. Une bande égalitaire est composée des enfants de même tranche d’âge. Par exemple des enfants de 11 à 13 ans qui partagent les mêmes expériences et affichent le même comportement. Une bande hiérarchisée se caractérise par la reconnaissance d’une autorité en un aîné. Celui-ci a un rôle d’un véritable leader. Cet aîné est l’organisateur du groupe. A Kinshasa, on le surnomme Yakuza. L’adhésion à un groupe se fait selon un rituel varié mais qui a en commun la violence. Un nouveau shégué se verra violemment battre pour intégrer une bande. Un autre se verra violer soit par le chef seul soit par tous les membres de la bande pour obtenir son visa d’adhésion. Un autre subira brimades et rapts jusqu’au déshabillement. Une fois ce rituel accompli le nouveau venu devient membre effectif et jouira de la protection assurée par le groupe contre les agressions étrangères. Chaque bande organisée se caractérise positivement par une triple qualité de solidarité, de fraternité et de discipline. La solidarité et la fraternité s’expriment par l’organisation matérielle pour la survie du groupe, par la recherche des moyens de vivre. Elles se caractérisent aussi par la connaissance mutuelle des membres de la bande. Il n’est pas rare que l’aîné du groupe ou de la bande connaisse les parents des autres et parfois abordent le parent d'un membre trop jeune ou trop mineur pour plaider pour son retour en famille. La discipline s’exprime par l’ordre et le respect que les membres se doivent et, surtout, doivent au chef. La force physique est ici très importante car elle permet l’exercice efficace de l’autorité. Il faut dire que toutes ses qualités s’expriment et se déploient sur fond de violence car cette dernière est en définitive le moyen privilégie d'exercice de pouvoir et d'expression communautaire. Le but de la bande est de protéger les membres. 3.CAUSES. Quelles peuvent être les causes du phénomène massif des enfants de la rue en Afrique? Qu’est-ce qui fait que l’Afrique qui se prévalait et se prélassait d’être le havre de la solidarité, le garant des valeurs de la famille et qui considéraient les enfants comme une richesse voit ses villes tout d’un coup inondées des ces êtres chers et fragiles? l’Afrique est-elle entrain de renier ses anciennes valeurs? Est-elle entrain de changer? Les causes du phénomène sont variées et diverses. Elles vont de l’enfant à sa famille en passant par l’atmosphère ambiante du XXIè siècle et de la composition de nos villes. Il ne nous paraît pas convenable de classer ces causes par ordre de grandeur ni d’importance. Car nous estimons qu’elles sont complexes et s’entrecroisent. C’est ainsi que nous ne les énoncerons que tour à tour. L’enfant difficile et rebelle. L’enfant difficile et rebelle ne se laisse pas maîtriser ni manier par ses parents. Il n’écoute pas ses parents et est réfractaire aux remarques. Quand on l’envoie, à la maison, il boude ou se lance dans des jeux ludiques avec ses amis et ne remplit que de tiers ou de moitié la tâche ou le service qu’on lui a demandé. Un tel enfant est réfractaire aux conseils et enclin à la liberté et à la facilité de la rue. Une gifle ou une engueulade de la part des parents ou d’un aîné à la maison peut augmenter son désir d’indépendance. Un tel enfant, une fois privé de nourriture ou tabassé, se révolte et se lance dans la rue. La question que le foyer chrétien doit poser et résoudre c’est «comment éduquer de tels enfants moyennement insoumis, réfractaires aux conseils et enclins à la liberté»? Le suivisme des amis. Dans les quartiers, les enfants s’organisent en groupes de jeux. Ce groupe de jeu est leur deuxième milieu naturel. Car c’est avec les amis de jeu qu’ils passent un bon bout de leur temps, partagent leurs histoires, désirs, pensées et intérêts. Dans un tel cas, un enfant qui affectionne un groupe déjà enclin à la rue ou déjà shégué peut finir par tomber dans la rue. Il suivra ses amis et pourra finir dans la rue. La situation familiale. La situation familiale peut se diviser en deux catégories. La première est la situation socio-economique. La deuxième est la situation religieuse. La situation économico-sociale se caractérise par la misère familiale et par une désintégration de la situation matrimoniale des parents. La misère familiale est une cause. Car elle cause une désintégration familiale. Les parents n’ont plus les moyens d’expression de leur affection et de leur responsabilité. Un enfant qui n’est plus nourri ou que les parents encouragent à une prise en charge précoce de soi se transformera en un mendiant. La misère dans les familles contraint certains parents à une mendicité forcée. Ils y vont soit avec leurs enfants soit seuls soit en les envoyant. C’est ainsi que certains enfants sont envoyés dans la rue pour mendier et ramener le butin aux parents. Le manque de repère fait que certains parents abandonnent leurs enfants, les laissant devenir shégués. L'État désintégré et irresponsable n’a plus d’autorité. Aussi ne peut-il plus contraindre les parents à remplir leur autorité parentale. L'État dépravé ne remplit sa fonction envers les parents et l’institution famille laissée à elle-même a perdu le nord et ne remplit plus son devoir. Ce que la désintégration a fait à l'État la misère le fait à la famille. La situation religieuse faite d’amateurisme théologique, d’interprétation théologique erronée et de méthode de bouc-émissaire, de farce de prophète apprenti-sorcier ajoute au dégât. De nombreux enfants se voient indexés sorciers par des pasteurs en mal de prophéties et des miracles. Ils proposent souvent que l’on chasse l’enfant du toit familial. Souvent ce verdict tombe après une séance d’exorcisme ou de prières de délivrance. Les Églises du Réveil sont en grande partie expertes en ce genre de jugement car elles voient le diable ou le démon partout et semble se livrer à un combat contre lui. Et le démon pour eux peut résider partout. Les anciens principes ou valeurs sacro-saints sur la famille, le clan subissent le choc du temps et du milieu urbain. Les temps ont changé alors que le pays est devenu déficitaire. Le milieu urbain n’est pas encore bien maîtrisé par les habitants. Tout cela donne un air perdu aux nouvelles structures dans lesquelles nous vivons. 4.COMMENT RESOUDRE LE PHENOMENE ? Ce phénomène ne peut être résolu que si l’on s’attaque aux causes et à la racine. Nous aborderons cette question selon deux hypothèses. La première c’est de considérer que le foyer chrétien est la cause de la délinquance juvénile. La deuxième c’est de dire que le foyer, lui aussi, est victime de la politique et de la désintégration étatique. 4.1.Et si le foyer était responsable ? Le foyer peut être responsable de la délinquance s’il n’arrive pas à remplir ses fonctions et son rôle. Son rôle est d’aider l’enfant, de le protéger, de l’encadrer, de lui assurer une croissance harmonieuse. Cette responsabilité consiste en la prise en charge de l’éducation scolaire, à nourrir l’enfant, à le vêtir et le loger. En un mot à lui garantir une croissance humaine harmonieuse. Car le foyer chrétien doit savoir que l’enfant est un don de Dieu reçu gratuitement et sur lequel nous devrons rendre compte. En tant que foyer chrétien le phénomène shégué doit nous interpeller, nous attrister car les enfants devenus shégués sont un don de Dieu négligé. Que faire ? Que les foyers chrétiens qui ont les moyens aident ceux qui n’ont rien. Que les foyers chrétiens soient sensibles à l’adoption de ces enfants. Que les foyers chrétiens luttent contre la diabolisation des enfants taxés, à tort ou à raison, d’enfants sorciers. Car un bon chrétien doit se sentir sauvé et libéré. Il doit combattre ou exorciser la peur du sorcier au lieu de jeter l’eau de bain avec le bébé. 4.2.Et si le foyer était aussi victime ? Le foyer congolais est aussi victime car l'État s’est désagrégé et ne remplit plus ses responsabilités à l’égard de ses membres. Les parents impayés par l'État sont obligés de tout faire à la place de l'État. La première réaction du foyer c’est d’être contre un État qui sème la misère dans le pays, dans le foyer et autour du foyer. Car quand l'État se désagrège il s’ensuit une recrudescence des anti-valeurs. Or le phénomène shégué est une anti-valeur pour la société congolaise. Donc … Et même si le foyer était victime ce ne serait pas une raison pour victimiser davantage l’enfant. Le jeter dans la rue n’est pas une solution. Il constitue, au contraire, un crime et une bombe contre tous. Dans l'un ou l'autre cas, l'affection pour l'enfant est primordiale. Jean-Pierre Nziya Consultant Centre Mgr Munzihirwa Kinshasa « return. |