by Ludewic Mac Kwin De Davy
Published on: Feb 16, 2009
Topic:
Type: Opinions

Le sommet du FAO tenu dans la capitale romaine, il y a quelques semaines, s’est efforcé, ou du moins a donné cette impression, à trouver des remèdes à cette maladie terrible qu’est la faim dans le monde. Malgré les prêches de prédicateurs présents, les dirigeants les plus puissants et des séances presque d’exorcisme, le miracle n’a pas eu lieu. Quelques milliards offerts gracieusement à ces millions de personnes qui chaque jour se meurent aux autres bouts de la planète, la communauté internationale s’est acheté une conscience et rapidement les émeutes de la faim ont été catégorisées comme des « incidents » contre lesquels on ne veut pouvoir rien faire.
Les raisons de la recrudescence de la famine sont multiples : la déforestation anarchique, la mauvaise modernisation du secteur agricole permettant l’usage de produits dangereux, le climat accentuant une désertification des terres et l’aridité des sols, etc. Si le manque d’eau demeure un problème majeur dans la lutte contre la famine en Afrique et qu’il contribue à l’affaiblissement substantiel de l’activité agro-pastorale (champs et bétail), il ne saurait expliquer à lui seul la virulence de ce mal comme l’on tend à le faire croire. Le problème est plus profond qu’il n’y paraît.

Des pays comme le Cameroun ou la République centrafricaine sont affectés par la faim au même titre que le Kenya ou l’Ethiopie, ainsi malgré une pluviosité plus importante ils ne sont pas à même de parvenir à une situation de sécurité alimentaire satisfaisante. D’un autre côté, les pays semi-désertiques ou désertiques de l’Afrique du Nord, dans le monde arabe, en Asie du Sud-Est arrivent au détriment d’un climat agressif et d’une quasi-absence d’eau à atteindre un seuil d’autosuffisance alimentaire enviable en Afrique subsaharienne. Alors la question ici est de savoir comment font-ils eux pour remplir, envers et contre la nature moins clémente, les conditions nécessaires pour développer leurs activités agro-pastorales ? Simplement en se réappropriant les « technologies traditionnelles » selon le mot de Vincent Kitio[1]. En effet, c’est grâce aux connaissances traditionnelles et aux techniques « de soulèvement d’eau des rivières et des eaux souterraines à des fins d’irrigation » que ces pays ont pu en partie « augmenter la production alimentaire ». Dans ce type de technologie nul besoin d’organisme génétiquement modifié, d’une utilisation excessive de pesticides et autres produits chimiques, c’est dans l’exploitation naturelle des éléments de l’environnement (l’effort humain, l’apport des animaux, la maîtrise du vent et du potentiel hydraulique même insignifiant) que les populations de ces pays parviennent à produire suffisamment pour se maintenir à l’abri des désastres que l’on a pu observé un peu partout en Afrique subsaharienne.

Certes cela peut paraître irréaliste et totalement hors de propos, mais il convient de rappeler que ces technologies traditionnelles ont fait leur preuve durant des siècles en Europe[2], en Asie et en Méditerranée bien avant l’arrivée de techniques révolutionnaires, coûteuses en énergie et extrêmement polluantes. Pour un continent qui n’a pas encore les moyens de sa politique agricole et face aux subventions des productivités agricoles occidentales, cette vulgarisation des technologies traditionnelles en Afrique subsaharienne pourrait constituer une réaction, a minima peut-être, des gouvernements en vue d’assurer au moins une autosuffisance décente sans toujours tendre la main à l’aide alimentaire avec ses aléas. C’est là une « solution durable » à la sécheresse et aux grandes et virulentes famines qui interpellent en même temps qu’elles stigmatisent douloureusement un continent qui n’en a que faire de la pitié du monde.

La famine en Afrique est un sujet qui reste au cœur de tous les débats et avec les émeutes de la faim de ces derniers mois, tout a été dit sans que jamais rien de concret ne puisse se faire. Pourtant c’est une situation qui aurait pu être évitée et les effets plus maîtrisés, mais face à la corruption, la mauvaise gouvernance, le changement climatique et le réflexe d’assistance alimentaire, l’Afrique subsaharienne s’est renfermée dans une dépendance terrible qui influe sur les initiatives individuelles et collectives empêchant toute « liberté »[3]. Les technologies traditionnelles à l’instar de la roue perse[4], de la noria[5], du sakia[6] ou de la pompe à vent pourraient contribuer à résoudre partiellement, mais durablement ce « handicap » africain. Cette réappropriation des techniques ancestrales et universelles donnerait ainsi l’occasion aux intellectuels et autres scientifiques africains de faire preuve d’audace et d’originalité quant à la manière la plus efficace de lutter contre la famine et à favoriser la vulgarisation de pareilles technologies à toutes les couches sociales à des prix abordables. Ce qui n’est pas souvent le cas des technologies modernes occidentales.

Il va de soi que cette solution (qui n’est en fait qu’un moyen) ne saurait constituer la finalité des politiques africaines de lutte contre la famine, car il faudrait une réforme structurelle et institutionnelle profonde pour parvenir à une véritable sécurité alimentaire, c’est-à-dire l’accessibilité pour chaque individu et à n’importe quel moment, à une nourriture quantitativement et qualitativement suffisante pour mener une vie saine et active, selon la formulation de Pierre-Jean Rocca de l’IFAID – Aquitaine. Et cette ambition nécessite la disponibilité de fonds financiers pour faciliter la distribution de la production alimentaire, de la stabilité politique pour créer et maintenir ces circuits de distribution, mais plus fondamentalement la capacité économique des populations à accéder convenablement et aisément à cette nourriture. Quand l’on voit les massacres et les tueries des conflits armés qui ravagent l’Afrique subsaharienne, la complexité de ces situations de guerre permanentes sur fond de disputes géostratégiques et énergétiques, sans oublier l’opacité dans la gestion des économies nationales, il est difficile d’être optimiste. Mais, si, à un niveau plus individuel, chaque Africain pouvait s’interroger sur l’efficacité des techniques traditionnelles liées aux activités agro-pastorales, et adopter ces technologies, propres et abordables, qui ont permis à d’autres peuples de palier le déficit des conditions naturelles favorables, la famine peut être vaincue avec l’irrigation des terres inexploitées, l’approvisionnement des marchés locaux en légumes, tubercules et autres produits agricoles.

De la noria[7] au sakia en passant par la roue perse[8] ou la pompe à vent[9], toutes ces méthodes devraient permettre au paysan africain de soulager la rudesse de la sécheresse ou d’exploiter intelligemment les « ruisseaux » et les « rivières » qui existent en zone tropicale. Ce qui équivaudrait à une autonomisation du fermier africain face aux « pénuries alimentaires » actuelles. En attendant que se concrétisent des volontés politiques louables, mais encore loin d’être réalisables, il suffit désormais que les Africains pensent utilement et aient des idées contre la fatalité.




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[1] Vincent Kitio est architecte camerounais et expert en énergie renouvelable et en technologies appropriées pour le développement durable. Il travaille au siège de l’organisation onusienne sur l’habitat, UN-HABITAT, à Nairobi, en qualité de conseiller en énergie.


[2] « Les Romains comptaient sur les systèmes d’irrigation pour assurer la sécurité alimentaire dans l’empire. Des architectes et ingénieurs romains ont élaboré différentes techniques, tel que le décrit Vitruvius en 01 avant J.-C. dans ses Dix Livres sur l’architecture, afin d’appuyer leur agriculture. Certains de ces systèmes d’irrigation ont survécu jusqu’à ce jour. » - source Vincent Kitio


[3] « Il y a plusieurs années, une agriculture dépendant de la pluviométrie ne constituait pas un handicap en Afrique, puisque des communautés entières pouvaient migrer des zones frappées par la sécheresse vers des pâtures plus vertes. Tel n’est plus le cas faute de terres disponibles. » - source Vincent Kitio.


[4] « On estime qu’une roue perse peut irriguer jusqu’à un hectare de terres. » - source Vincent Kitio.


[5] « Les norias trouvées en Espagne furent introduites pendant la domination musulmane, avec deux ensembles de seaux de chaque côté de leurs jantes. D’autres ont deux roues sur le même arbre, permettant au système d’augmenter la quantité d’eau puisée. Des prêtres espagnols introduisirent les norias en Mexique au cours de la période coloniale. Certains d’entre eux sont toujours en activité dans les fermes situées dans la partie Nord du pays. » - source Vincent Kitio.


[6] « Selon la Station égyptienne de recherche et d’expérimentation hydraulique, plus de 300 000 sakias sont en utilisation dans la vallée et le delta du Nil, surtout conduits par des animaux. Un sakia de 5 m de diamètre peut puiser 36 m3 d’eau par heure. » - Vincent Kitio.


[7] « Certains fermiers à Hama utilisent la noria dans l’agriculture urbaine. Et occasionnellement, lorsque la circulation de l’eau ne suffit pas pour faire tourner la roue hydraulique, on a besoin jusqu’à cinq pompes à moteur pour soulever l’eau vers l’aqueduc. Cette technologie aussi vieille que le monde convient bien au mode de vie rural en Afrique, surtout avec la montée du prix du carburant qui est déjà en train d’avoir un impact négatif sur la croissance économique. » - Vincent Kitio.


[8] « Dans la région entre l’Inde et le Pakistan, les roues perses, connues comme des Rahat à Urdu, sont des instruments traditionnels utilisés pour l’irrigation. Avant leur introduction dans la région, l’irrigation était une activité très ennuyeuse et inefficace, comme elle le reste aujourd’hui dans les zones rurales africaines où les gens doivent marcher sur de longues distances pour chercher de l’eau. L’introduction de cette technologie a amélioré la productivité agricole de façon sensible en Inde au Moyen Âge. » - source Vincent Kitio.


[9] « De simples pompes à vent, par opposition à celles qui sont sophistiquées et coûteuses que l’on voit occasionnellement dans certaines zones rurales africaines, constituent une autre solution appropriée pour l’irrigation. Sur le plateau de la montagne de Lassithi à Crète, en Grèce, de simples pompes à vent ont été utilisées pendant plus de 400 ans pour irriguer la terre et produire des légumes, des fruits et du blé. Les zones côtières de l’Afrique et les régions montagneuses ayant des vents en permanence sont des endroits idéaux pour l’application de cette technologie. » - Vincent Kitio.







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