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C’est dans l’ignorance du peuple que se pérennise le pouvoir. Le « Vieux Lion » a su faire de cette sagesse machiavélienne son credo. Jamais comme aujourd’hui, le peuple n’a autant dansé plus qu’il n’a pensé, pris dans la spirale de l’espoir artificiellement maintenu, perdu dans les brumes des réformes avortées et des succès rafistolés, il préfère se saouler à l’ivresse du mensonge d’Etat et se contenter des miettes que l’on lui refile les jours de grandes disettes, au lieu d’entamer une réflexion profonde sur ce « demain » qui ne se construira pas tout seul. En voyant les images des corps calcinés à New-Bell, certains préfèrent « zapper » sur Secret Story et s’extasier devant les imbécillités d’une télévision devenue poubelle. « On va faire comment ? Le Cameroun c’est le Cameroun » peut-on suivre sur les ondes radiophoniques, un constat d’échec permanent et une résignation épouvantable, à croire que « penser » l’avenir est chose impossible. Malgré les promesses de changement et de modernité, le Renouveau inlassablement claironné est un vaisseau fantôme qui navigue dans les eaux obscures du délire démagogique.
« Tous pourris ! » s’écriait-on dans les années 1990, lors de la braise sociale qui faillit coûter au monarque actuel sa couronne d’épines. Le ver n’est pas seulement dans la pomme, il a contaminé tout le verger. Plusieurs fois nommé au hit des pays les plus corrompus, le Cameroun est l’un des rares pays au monde où la corruption est le grand sport national. On y naît corrupteur et on devient corrompu. Toutes les strates sociales y passent. C’est la malédiction locale. On ne compte plus le nombre de personnes ayant trouvé la mort dans les hôpitaux publics faute de ne pas avoir « graissé la patte » au médecin. On pourrait prendre des siècles pour dénombrer les cas de magouilles dans les secteurs privés et publics. Le plus drôle dans l’affaire, c’est que les hommes en charge de lutter contre ce cancer social sont notoirement connus pour être eux-mêmes de puissants corrompus.
Les récentes actions judiciaires contre de hauts responsables ne sont que des fumigènes pour calmer la colère d’une partie du peuple excédé par tant d’abus, et de petites vengeances qui reflètent la virulence des combats que se mènent les courtisans du prince. Certains de ceux qui sont accusés aujourd’hui, loin d’être des anges, subissent la fureur de leur « Boss », coupables selon lui d’avoir ruminé des prétentions présidentielles.
Ainsi, le premier d’entre nous envoie un message assez subliminal aux ambitieux qui pensent dans l’ombre que l’heure de sa retraite a sonné. Que nenni. « Nous pas bouger ! » a-t-il voulu dire en modifiant pour une énième fois la loi suprême du pays. Ceux qui encensaient hier la limitation du mandat présidentiel sont les mêmes actuellement à la trouver anti-constitutionnelle. On fait appel aux plus grands esprits de la République pour expliquer au peuple affamé que le bonheur est dans la nouvelle constitution. Comme si le peuple était complètement dupe, mais il laisse faire parce qu’il en a marre de descendre dans la rue et se faire tirer dessus sans que cela n’émeuve les caméras des médias internationaux.
Désabusé par le soutien constant des chancelleries occidentales aux démagogues locaux, fatigué de s’entendre dire qu’il est fainéant et incapable de vouloir le changement, épuisé de donner ses fils à la mort et achevé par les bidasses, dégoûté de voir la couronne du roi sauvé par l’intervention manu militari des légions étrangères, promptes à veiller sur les intérêts, le peuple laisse faire et se met à son tour comme ses dirigeants à danser, à se saouler.
D’énormes colonnes de fumée s’élèvent dans le ciel de Douala, la prison de New-Bell livre son ultime combat. Des cris se font entendre ; à l’extérieur, des gendarmes lourdement armés éloignent les curieux. La plupart des membres du gouvernement sont en congés en Europe, les lords et comtes de la République vont, en ce mois d’août, profiter de leurs résidences secondaires en Occident. On dépêche sur place un « représentant spécial » pour faire l’état des lieux, c’est-à-dire compter les morts et évaluer les dégâts matériels. Il rigole, serre des mains et papote avec ses collègues. Il fera une déclaration pompeuse devant les scribes gouvernementaux entassés comme des insectes autour d’un feu incandescent. « Sur les Très Hautes Recommandations de son Excellence le Chef de l’Etat » lancera-t-il dans un air solennel, le verbiage habituel, étranglé par l’émotion toute palpable de faire l’ouverture de tous les JT du soir. C’est sa « petite copine » qui sera contente de voir la tronche de ce ventripotent meugler des sottises, elle pourra sortir désormais la tête bien haute et le nez dans les cimes, en signifiant au quartier entier que son « sponsor » est passé à la « télé », dorénavant il est aussi un « grand ».
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